Journalisme de sport : peut-on critiquer ses confrères ?
Le journalisme de sport est massivement pollué par le bavardage, les polémiques faciles, les clashes, le people. Pour lui redonner vie et pertinence, doit-on critiquer ses confrères et si oui, comment et pourquoi ?
Le journalisme de sport
actuel manque cruellement d’esprit critique, alors que les dimensions pédagogique, éthique, éducative du sport sont ignorées voire laminées. Cela ne veut pas dire que, chaque jour, des milliers d’éducateurs et entraîneurs en France ne font pas un remarquable travail dans ces domaines auprès des jeunes. Mais les « valeurs
» du sport ne sont mises en avant par les instances dirigeantes sportives et par les médias que comme prétexte, cache-misère, leurre… En réalité, personne n’y croit plus ou n’ose le dire, sous peine de ridicule.
Le précieux rôle social du sport
Il y aurait pourtant beaucoup à écrire sur le rôle précieux que joue le sport en tant que prévention de la délinquance,
par exemple. Où iraient tous ces gamins à l’abandon s’il n’y avait pas de clubs de sport pour les accueillir et -au mieux- les former? On ne sait que trop où finiraient ces gosses désœuvrés et défavorisés : délinquance et drogue, violence, absentéisme scolaire, etc. Pourquoi dès lors ces aspects si positifs ne sont-ils pas promus clairement et fermement dans les médias et par les Pouvoirs publics ? Essentiellement parce qu’ils ne font pas vendre, ni ne donnent des voix dans les élections !
Il y a ici pourtant tellement à faire… Ce qui domine largement ces sujets, ce qui les écrase même, c’est le sport professionnel et ses dérives. Il est plus croustillant d’alimenter les marronniers sur les -jugés scandaleux, évidemment- salaires des footballeurs ou le dernier clash impliquant Daniel Riolo
ou Pierre Ménès…
La presse écrite régionale
est de loin la moins déficiente sur ces dossiers. La proximité est par définition un de ses axes privilégiés et le starsystem
n’y broie pas tout. Mais sinon, en radio, en télé et dans la presse sportive nationale -L’Equipe !-, ce sont les vedettes du foot
qui occupent le devant de la scène et suscitent bavardage, polémique
et passion. Et que dire des réseaux sociaux ?! N’y a-t-il donc rien à analyser, rien à contester, aucune raison de s’insurger face à ce rideau de fumée qui nous cache le vécu simple et potentiellement salvateur du sport amateur ?
Quelle critique des confrères ?
La question est alors : critiquer, voire attaquer qui, de quelle façon et sur quels thèmes ? Les attaques personnalisées de journalistes contre d’autres journalistes passent mal. Pourtant, comment ne pas voir les énormes dégâts commis par Pierre Ménès pendant ses trop longues années de règne sur le Canal football club
? Aujourd’hui mal en point physiquement, il continue à rassembler un vaste public sur sa chaîne YouTube
ainsi que sur son blog et il est jugé malvenu de tenter de croiser le fer avec lui. Je le sais, j’ai essayé… Je l’ai même proposé il y a plusieurs années au directeur du sport d’alors de Canal+,
Cyril Lynette, avec qui j’étais en contact. Rien à faire. Monsieur Ménès n’aurait même pas pris le risque d’une confrontation avec un chercheur, un « match » que, jouant sur son terrain et entouré de sa cour, il aurait pourtant gagné haut la main, qu’il ait raison ou tort, et sa gouaille aidant !
Google
se nourrit largement de « coups de gueule », comme ceux de Daniel Riolo ou de Dieu sait qui de médiatisé. Une honte, vraiment… Mais quand nous évoquons le besoin de sens critique, nous ne parlons pas de « coups de gueule » ! La polémique facile, voire même créée artificiellement, n’est pas la critique argumentée, fondée. Par ailleurs très peu de chercheurs
proposent une critique véritable du système des sports. Citons Ludovic Ténèze sur la VAR, Olivier Villepreux -mais apparemment fermé à la rencontre, là encore j’ai essayé…- et puis les Jean-Marie Brohm et Marc Perelman, qui persistent, non sans mérite, dans leur tunnel marxiste-léniniste. Autrefois Alain Chermann tenait dans le journal L’Equipe
une excellente rubrique sur la télévision, intelligemment critique sans être agressive. Elle a évidemment disparu... Aujourd’hui, côté médias, Les Cahiers du football
sauvent l’honneur en n’hésitant pas à analyser, et donc inévitablement critiquer, le travail de certains de leurs confrères. Et ils le font bien, souvent en se moquant d’eux, mais avec raison. Cela leur a valu l’inimitié de beaucoup de journalistes de sport. Pourtant il faut savoir rire
de soi, c’est essentiel. Et les piques et portraits des Cahiers du foot
étaient tellement drôles !
Critiquer et
construire !
Lors d’un colloque à Lille sur le journalisme de sport, il y a plusieurs années, je posai la question : « Pourquoi les médias ne critiquent-ils jamais les autres médias ?
». « Si on commence à critiquer les confrères, alors !
» m’a répondu quelqu’un à la tribune. Ma critique de Ménès sur ce site (« Ménès, ça suffit !
»), affichée sur Twitter, n’a pas recueilli un seul « j’aime ». Qu’il soit source de vastes dégâts -notamment contre les arbitres- ou non, on ne touche pas à une vache sacré comme Ménès.
Dès lors l’espoir est mince (nul ?) que les choses changent. Le journal L’Equipe,
lourdement soumis à la télévision, s’est complètement trompé sur la VAR, dont il a fait la promotion pendant des années sans savoir de quoi il parlait, faute de travail sérieux. C’était clair. La surdité et l’abdication devant plus puissant que soi (ici, la télé) ne mènent cependant à aucune vérité ni bienfait pour le sport. Croyez-vous que ce journal se soit excusé ? Que nenni ! Et maintenant bien sûr, il critique la VAR… Ses lecteurs ayant la mémoire courte, ça marche.
Evitons ici un malentendu : il ne s’agit pas d’attaquer des journalistes de sport pour le plaisir, encore moins d’entrer nous aussi dans le fonctionnement global qui a fait de la polémique et des commentaires de petites phrases hors contexte les critères clés. Mais enfin, on ne peut pas proposer une critique sérieuse et constructive du journalisme de sport si on ne donne pas quelques exemples concrets, exprimant et reflétant la structure sous-jacente de ce domaine d’activité. Il faut immanquablement décrire et analyser ce que font les journalistes de sport les plus en vue, sinon de quoi parle-t-on ?
Il est vrai toutefois que ces professionnels ne sont que la dernière roue du carrosse, que, surtout dans le monde de Bolloré, ils sont éjectables à tout moment ou presque. Les patrons de chaînes télé, les producteurs, les directeurs des sports ont bien plus de pouvoir. Mais s’ils ne sont que la face émergée de l’iceberg, les journalistes de sport d’aujourd’hui expriment et reflètent un état de fait, où l’on trouve 90 % de bavardage, de jeux, de polémiques et 10 % (et encore…) d’analyse et de réflexion. Ils sont les porte-parole, les porte-voix de l’iceberg « sport divertissement ». Et on aimerait d’eux, malgré leurs contraintes, plus de courage
et d’ouverture vers le grand large.
"Franc-Tireur" en pointe...
Du coup, oui, à l’instar de l’excellent magazine hebdo Franc-Tireur,
et de leurs « Portraits qui fâchent
», nous allons créer ici une rubrique intitulée « Ceux qui peuvent et doivent beaucoup mieux faire
». Franc-Tireur
a ainsi fait la critique du travail de gens comme Edwy Plenel, André Bercoff, Ivan Roufiol, Cyril Hanouna, Rokhaya Diallo… Nous « inviterons » dans cette rubrique en tout premier lieu Carine Galli
et son toutou Dodu, omniprésent sur Twitter, L’Equipe du soir
et ses bavardeurs-bandes de potes, et toute la chaîne L’Equipe TV, So Foot,
Pascal Praud, journaliste de sport parti vers le fake et le bla-bla, malheureusement avec succès. Ne pas critiquer intelligemment les journalistes de sport, c’est se résigner à une vision du sport massivement addictive portée par les réseaux sociaux, les paris sportifs, le goût exacerbé du bavardage et des fausses polémiques. Refuser cette addiction : l’accès à un minimum de conscience et d’esprit critique
est à ce prix.