Les gestes violents sur les terrains de football évoluent avec le temps, les spasmes de la société globale, la conception des règles qu’ont les fédérations nationales, l’UEFA, la FIFA, l’International Board (IFAB) et la façon dont les arbitres les appliquent. Cet Euro 2020-21 met en évidence les agressions que subissent les chevilles des joueurs.
Mais en attendant que les simulateurs soient enfin sanctionnés comme il convient (c’est long !), cet Euro place les chevilles au premier plan. Parlons donc chevilles…
Le Gallois Ampadu a reçu un carton rouge direct pour son pied violemment placé sur la cheville d’un joueur italien. Première expulsion de la compétition… Prise de conscience du problème ? Les ralentis, cette plaie du football télévisé actuel, ont au moins ce mérite de montrer sans ambiguïté le point d’impact exact du pied de l’agresseur.
Si la VAR, dans ses interminables balbutiements, peut avoir une utilité, c’est sur ce type de faute. A condition que les conséquences correctes soient tirées des images, ce qui est une autre question… VAR ou non, les arbitres ne peuvent pas ne pas voir aujourd’hui que beaucoup (trop) de joueurs, lorsqu’ils taclent, ne visent pas la balle, mais bel et bien la cheville de l’adversaire.
Cette articulation est fragile et, comme le genou, elle peut voir une carrière de joueur s’effondrer ou s’arrêter net si elle trop maltraitée. Les chevilles doivent donc impérativement être protégées. La nausée nous prend à la vue de ces défenseurs ou milieux de terrain -et pas seulement…- qui font les étonnés, après avoir clairement visé la dite articulation, devant leur opposant qui se tord de douleur au sol. Insupportable (les joueurs qui se tordent de douleur seront l’objet d’un autre article…). « Pudiquement » et hypocritement, les commentateurs déclarent alors que le joueur agresseur est « très en retard » ; ce qui veut dire : il arrive plein gaz sur sa cible… Car non, la plupart du temps il n’est pas en retard, il est au contraire pile à l’heure du rendez-vous avec son objectif : non pas la balle, la cheville.
On peut distinguer ici deux types de tacles « en retard », soit disant incontrôlés :
-celui qui emporte tout sur son passage, envoie le joueur adverse en touche ; c’est le grand balayage. La cheville fait généralement du lot mais elle n’est pas la seule. C’est une agression globale, veau, vache, cochon, beurre, crémière et argent du beurre. Outre le fait qu’elle blesse -plus ou moins gravement- elle cloue au sol et empêche d’aller plus loin, sinon en boîtant, l’air misérable. Bien sûr, les Tartuffes font mine de s’excuser (ils feront eux aussi l’objet d’un autre article, ce qui commence à faire long, comme liste…). Agression plus fixation, donc, et suite du match hypothétique.
-mais il y a aussi l’agression clinique, celle qui vise très précisément la cheville. A croire que les joueurs s’entraînent à bien viser, sur des mannequins aux chevilles rouges, bien en évidence… Nous ne serions pas étonnés qu’ils le fassent pour de bon -avec entraîneurs et présidents complices ou non- quand on se souvient avoir lu et entendu qu’il y a des clubs où on s’entraîne à simuler.
A ce stade, que dire ? Messieurs les joueurs, (les dames semblent pour l’instant moins concernées, pourvu que ça dure !), il existe un objet rond que vous ne pouvez pas ne pas connaître, au moins un peu : cela s’appelle un ballon. Et c’est cet objet-là qui devrait d’abord attirer votre intérêt. Donc, à l’avenir, soyez au rendez-vous, à l’heure, pas « en retard », avec lui et pas avec la cheville des joueurs, qui leur sont tellement utiles. Revoyez vite votre calendrier, votre mode d’emploi. Laissez les chevilles en paix.
Assez ! Merci à vous.
Profitons-en pour évoquer ici (ça nous évitera un autre article…) un deuxième mal qui souffle sur le foot -parmi tant d’autres. Lors de cet Euro, il est surprenant, de Saint Pétersbourg à Rome, de Budapest à Londres, de Bakou à Séville, de constater à quel point les têtes des joueurs s’entrechoquent. Les duels aériens sont l’occasion d’étranges envolées où le joueur qui est, là encore, « en retard », se fait horriblement mal après avoir abondamment secoué la nuque de son collègue sauteur. C’est le concours de celui qui se fera le plus mal… Celui qui est le plus « en avance » (?) dans le saut (et qui regarde la balle, pas le joueur) s’en sort bizarrement plutôt mieux. C’est encourageant, mais l’idée serait que tout le monde s’en sorte bien, c’est-à-dire que la balle soit l’unique objet non pas de leur ressentiment, mais de leur désir de jeu.
L’accent a récemment été mis sur les traumatismes terribles que subissent les joueurs de foot à force de frapper la balle de la tête, ce n’est pas une raison pour ne pas parler de ces duels aériens douteux.
L’équipe d’Angleterre championne du monde 1966 a vu ses rangs décimés ces dernières années par la démence précoce. Il faut dire qu’Outre-Manche, on ne joue pas la balle de la tête, on la cogne, souvent et longtemps. La génération actuelle de footballeurs pros sera-t-elle celle des chevilles cassées et des nuques brisées ? Non pas « Comme en 18 », certes (merci encore, L’Equipe, pour ce titre tellement sympathique et humain !) mais « Comme en 21 ». Ce serait trop, surtout après la pandémie, mais pas juste à cause de cela. Comme notre planète, le foot et ses joueurs ont besoin qu’on prenne soin d’eux (« to take care »). Au boulot !
Tous droits réservés | Delphacréa