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Mal commenter un match de foot : est-ce une fatalité ?

Comme toute grande compétition sportive, l’actuelle coupe du monde de foot féminine attire notre attention sur un ou plusieurs points de l’activité des médias. Ce Mondial du bout du monde (Australie et Nouvelle Zélande) ne fait pas exception ; d’abord parce qu’il est commenté majoritairement par des femmes, souvent en duo, ce qui est sûrement une première. 

Ensuite parce que la réalisation des rencontres semble ici correcte, même si nous ne faisons pas cette fois de statistiques : la lassitude gagne ! En tout cas, les principales tares habituelles des réalisations (surtout françaises !) sont absentes ou minimes. Même les rentrées de touche sont montrées de façon acceptable (généralement en plan large, donc), c’est dire ! Et puis nous échappons heureusement aux cavalcades aveugles de joueurs vus seuls balle au pied, étendant le hors-champ à l’infini. Cette dernière tendance, en vogue, gangrène notre vision du jeu, nous l’avons souvent dit. L’ambiance sonore des stades est en revanche fatigante, et nous avons même d’abord pensé faire ce papier sur cette bouillie auditive. 

Mais aujourd’hui, parlons commentaires ! Occuper l’antenne quatre-vingt-dix minutes au moins, voire 120, 130 ou 150 en cas de prolongations et tirs au but, n’est pas simple, même quand on est deux et qu’on est censé(e)s se partager le travail, de façon d’ailleurs très différente d’une chaîne à l’autre sur ce Mondial. 

Nous avons travaillé essentiellement sur Suède-Etats-Unis, un huitième de finale à Melbourne, sur France 2 puis France 3. La commentatrice principale était Lucile Guillotin  (également en piste sur W9), avec à ses côtés la consultante Charlotte Lorgeré. Nous avions déjà entendu L.Guillotin sur d’autres matches. Nous allons donc recenser en premier lieu ce qui nous paraît satisfaisant dans ces commentaires, puis ce qui pourrait être mieux, enfin ce qui à notre avis ne va pas du tout. 

1 Ce qui « va » 
Les deux commentatrices ont tenu le choc, avec toutefois une large domination de Lucile Guillotin dans le temps de parole, la consultante C.Lorgeré se montrant d’une (trop) grande discrétion. Serait-ce la grande revanche des commentateurs sur les consultants, dont la coexistence a provoqué un vrai malaise dans ces professions (Qui domine qui ? Qui fait de l’ombre à qui ?). La figure du consultant -exemple quasi caricatural : Jean-Michel Larqué- a ainsi souvent été contestée, comme trop présent et réduisant le commentateur (le « journaliste ») à de la figuration. 

Rappelons les chaînes qui diffusent ce Mondial : France 2 et France 3, France 4, W9, M6.
La répartition du temps de parole entre commentateur-trice et consultante paraît avoir été très différente d’une chaîne à l’autre. 
Sur Suède-USA, dans l’identification des joueuses, il ne semble pas y avoir eu d’erreurs majeures, même si, ici et là, L.Guillotin disait: la joueuse suédoise, sans donner le nom. Il faut dire que c’est souvent très difficile, au rythme où vont les matches, d’être précise et complète à 100%. Et ceci nécessite de toute façon une importante prise d’information préalable : qui est qui ? Qui joue, avec quel numéro ? 
Cette tâche est d’ailleurs aussi très ardue pour les réalisateurs des matches, dont nous admirons la capacité à identifier et montrer instantanément à l’image l’auteur d’un but ou d’une faute. Nous ne faisons pas souvent l’éloge des « réals » : en voici un !

Voilà donc pour les satisfactions sur ce huitième de finale : personne ne s’est évanoui, les deux commentatrices ont dû parler quelque 140 minutes, c’est en soi une performance. 
Et les joueuses ont été à peu près bien identifiées. 
C’est bien, mais cela reste peu. 

Voyons maintenant : 
2 Ce qui pourrait être mieux 

-D’abord, d’une façon générale, on aurait aimé moins de banalités, de lieux communs (du type « L’équipe est bien en place… »), de répétitions. Redire sans cesse de quel match il s’agit, donner encore et encore le score est sans doute censé aider les nouveaux arrivants parmi les téléspectateurs à trouver leurs repères, mais il y a déjà beaucoup d’indications à l’écran, même si elle sont parfois (les noms de pays notamment) écrites en abrégé. Les redondances exagérées lassent… 

-Ensuite, de façon générale, nous avons eu le sentiment de ne rien apprendre, de ne faire qu’entendre la bande-son de ce que nous venions de voir à l’image. Or on l’a vu, c’est bon ! Ce n’est pas la peine de nous dire : « Anderson pousse la balle en touche », on le sait ! 

-Et puis, s’il vous plaît, ne pas vouloir jouer aux devins (devineresses, Pythies ?). Dire à vingt minutes de la fin des prolongations -et ensuite deux ou trois fois encore- que les tirs au but sont probables (!), ou qu’ « on va vers les tirs au but », c’est ne rien vouloir connaître à l’histoire du foot. Les buts marqués dans les dernières minutes, et même secondes, de matches capitaux, sont légion. Pourquoi dès lors vouloir anticiper sur ce que personne ne sait ? Mais les commentateurs ne peuvent pas s’en empêcher, c’est plus fort qu’eux (qu’elles..). Quitte à manger leur chapeau après, mais aucun (aucune) ne s’en excusera vraiment !
La manie des « jeux », paris sportifs et pronostics n’est jamais bien loin, qui sévit un peu partout en France et pas seulement (en Grande-Bretagne c’est pire). 

-Les analyses tactiques, techniques et stratégiques furent presque totalement absentes de ce très long match. Nous avons déjà eu l’occasion de le souligner 
Ce fut encore une fois flagrant. D’ailleurs Lucile Guillotin (et bien d’autres) en serait-elle capable ? Comment savoir ? Le refus évident des directeurs des sports des chaînes de voir les commentateurs/trices entrer dans ces domaines pourrait bien, à sa façon, arranger les journalistes. Ils sont ainsi tirés vers le bas… Pourquoi en effet développer une vraie connaissance du football si, à l’antenne, elle ne sert à rien ? En revanche il pénalise lourdement le journalisme de sport et les compétences qu’il devrait exiger... Quel est l’avenir du football réduit à sa seule dimension de distraction et de faiseur d’oubli ? 140 minutes sans le moindre éclairage tactique, c’est très long ! 

-Il ne faut enfermer aucune équipe dans des préjugés et une image toute faite. L.Guillotin nous a dit encore et encore que les Suédoises étaient faibles, leur jeu « pauvre », qu’elles « n’avaient rien montré ». Ce n’était pas totalement faux, mais à l’arrivée, quoi ? Elles éliminent les Etats-Unis, les dernières (et doubles) championnes du monde ! Serait-ce un hasard ? Un authentique exploit, plutôt… Décevante, faible, la Suède ?! 
Il faut toujours tenir compte de la valeur de l’opposition pour « juger » une équipe. La Suède n’aurait sans doute pas eu le même visage contre la Zambie… Et alors ? Or les commentateurs qui mettent l’accent sur le rôle joué par cette valeur de l’opposition sont très rares, beaucoup trop rares. Une équipe, pourtant, ne joue pas toute seule ! 

-On aimerait que les commentatrices ne nous disent pas trop souvent, après une perte de balle, par exemple, ce que la joueuse aurait dû faire. L’expression « Il y avait mieux à faire » est une des plus pénibles à entendre. Ou encore « Ah la la, Martineau était toute seule, démarquée ! ». La vue qu’ont les joueuses sur le terrain n’a rien à voir avec la perception du match depuis la tribune de presse, avec les écrans télé et les ralentis. Bien sûr, des erreurs des joueuses il y en a, beaucoup même, mais il est trop facile de dire : « elle aurait dû faire ça ! ». Les commentatrices ne sont pas sur le terrain, elles, avec la pression et les efforts énormes que cela représente. 

-D’une façon générale on aimerait que les gens au micro aient un sens du jugement. Qu’ils (elles) soient capables d’avoir un point de vue sur le match, personnel, fondé : une vraie approche, critique quand c’est nécessaire. Et aussi la connaissance de quelques fondamentaux, comme « dominer n’est pas marquer » (encore moins gagner…). On ne les a pas sentis lors de Suède-USA. 

-Il serait bon que les commentatrices ne soient pas démenties par les images. Elles n’ont au demeurant pas ce privilège. Tant d’hommes affirment dur comme fer quelque chose que le ralenti vient infirmer immédiatement. Ainsi, quand L.Guillotin dit « Musovic va calmer le jeu », dans la seconde qui suit, elle l’accélère !  

-On aimerait aussi moins de « Voilà » et de « Hein », qui ne font aucun bien à l’élocution. Mais s’il n’y avait que cela… 


3 Ce qui ne va pas du tout 

-Que les analyses tactiques soient absentes, c’est déjà dur, mais que les commentaires n’aient aucune couleur, aucune créativité, est difficile à accepter.
Bien sûr, c’est le passé, mais pour les « anciens » que nous sommes, il est difficile de ne pas se souvenir du ton et du style des Claude Darget, Roger Couderc, Robert Chapatte… 
De vraies personnalités que l’on a encore « dans l’oreille ». Qui aujourd’hui peut-on citer dans ce registre ? Grégoire Margotton ? Lizarazu ? (TF1), malgré leurs quelques blagues qui détendent un peu l’atmosphère. C’est peu… Omar Da Fonseca, sur Be Insport, en revanche, lui, donne beaucoup de chaleur, couleur et poésie à ses commentaires (que personnellement je ne comprends qu’à moitié, mais c’est un autre sujet). Il paraît qu’Habib Beye, sur Canal, était très bon, avant de devenir l’entraîneur du Red Star. Mais je ne l’ai jamais entendu. 

D’autres duos de ce Mondial sont assurément meilleurs, au moins en matière de chaleur humaine et de présence, ainsi Xavier Domergue et Laura Georges sur M6 pour France-Maroc : on sentait qu’il y avait quelqu’un derrière les micros, L.Georges nous a donné quelques éléments (très basiques) de technique, sur les permutations des joueuses, et a même raconté une anecdote sur le roi du Maroc et le foot. On approchait là d’une qualité minimale exigible, et c’était plutôt agréable à entendre. La consultante a même pris le pas sur le commentateur…  

-Comment les commentatrices préparent-elles leurs matches ? On ne doute pas qu’elles y travaillent, en tout cas, mais sur quels points? L’identification des joueuses on l’a vu, mais sur la façon de prononcer leurs noms ? Sur Suède-USA nous avons eu droit à «Dune » au lieu de « Deune » (à l’américaine) et à « Rolfo » pour « Rolfeu », à la suédoise (prononciations phonétiques approximatives). On ne demande pas aux journalistes à l’antenne d’être polyglottes. Une maîtrise de l’anglais serait pourtant souhaitable : l’ont-elles ? Mais en Australie et Nouvelle Zélande, la langue nationale est l’anglais. Ces commentatrices y sont donc entourées « à la journée longue » (comme on dit au Québec) de collègues anglo-saxonnes… Est-il vraiment inouï d’imaginer qu’elles puissent, avant le match, leur demander la prononciation exacte des noms des joueuses ? Apparemment elles ne l’ont pas fait sur notre match… ce qui donne « Dune » !
Côté suédois, cela se complique un peu mais quand il y a des trémas sur un « o », il devient « eu ». D’où « Rolfeu ». Pour quelqu’un qui a fait un peu d’allemand, c’est clair, car la prononciation est ici la même. S’il s’agissait de noms tchèques ou chinois, on serait volontiers plus indulgent, mais l’anglais, voire l’allemand !! 

Depuis que je suis le foot (très longtemps), je ne me souviens pas avoir entendu de prononciations correctes de noms anglo-saxons un peu problématiques. J’imagine donc que ce travail n’est pas fait par les « journalistes ». Thierry Roland avouait d’ailleurs sans honte qu’il ne préparait pas du tout les matches… 

-Les informations sur les joueuses : elle sont difficiles à trouver, nous dit L.Guillotin. Mais les cherche-t-elle ? La joueuse du match en question fut la suédoise Zecira Musovic. Elle a sa notice sur Wikipédia ! On aurait entendre à l’antenne qu’avec ses cheveux d’ébène (pour une Suédoise, cela intrigue…) elle a des origines serbes et bosniaques. Wikipédia (en Français) c’est trop dur ? Et des infos en anglais, il y en a sûrement un peu partout, mais il faut lire l’anglais. Après le « Dune » prononcé par les deux femmes à l’antenne, on en doute carrément. 

Peut-être les « pros » (?) au micro ne veulent-elles pas dérouter ces pauvres Français -si nuls en langues, comme chacun sait- qui ne comprendraient rien à « Rolfeu », mais à un moment donné, il faut tout de même faire passer à l’antenne quelque chose. Outre les accents, on devrait pouvoir dire aussi deux mots des pays qui jouent, là encore trouver une anecdote, un trait caractéristique de leur culture. Mais non, tout ce qui est « savoir » est tabou : la connaissance du football (ce qui est quand même un comble) mais aussi tout le reste ! 

Un nouveau constat d’échec

Ce constat général d’échec -ou plutôt de totale fadeur et de non-intérêt- est d’autant plus regrettable que les femmes au micro sont très nombreuses sur cette compétition et que l’occasion était parfaite pour elles de démontrer leurs qualités, d’autant plus que l’on sait les innombrables remarques sexistes et de déni de compétences qu’elles subissent dans leur métier. 

Je pose ce constat hors de toute question de genre. Peut-être avec le temps…

La question de fond que je pose alors est : est-il impossible de bien commenter un match de football à la télévision ? On sait qu’Eric Carrière, l’an dernier, avait baissé les bras et quitté Canal + en raison des blocages rencontrés. 

L’image cocherait-elle toutes les cases à elle seule pour que nous n’ayons plus besoin de quoi que ce soit d’autre ? Mais alors pour quoi faire, des commentateurs ? Seulement pour faire passer les annonces de la chaîne ? Pour montrer qu’il reste des humains sur place, et pas simplement des caméras et des robots à statistiques ? Pour faire « jouer » les téléspectateurs à des « jeux » idiots mais rémunérateurs pour la chaîne ? Cela, est-ce encore du journalisme, est-ce encore du foot ? Cette question je la pose avec obstination, depuis longtemps, avec aussi les Cahiers du football. Il me semble pourtant que la situation non seulement ne s’améliore pas mais s’aggrave. 

Nous connaissons de la part des commentateurs hommes des attaques odieuses contre les arbitres, l’ignorance quasi générale des lois du jeu et la démagogie. Selon Le Monde du 18 février 2019 sur Habib Beye -auteur Jérome Latta-, « le spectacle est régulièrement gâché par son commentaire » (ce que ne fait pas Beye, d’après le journal). 

Le temps de la fadeur généralisée, du vide complet, serait-il venu ? Il est triste que ce soient des femmes qui, cette fois, doivent porter le chapeau. Etre neutre, fade et ignorante apparemment ne suffit pas. Heureusement… Allez les femmes !

Si les chaînes ne tenaient pas à ce point à ce « lien » avec les téléspectateurs et à leur auto-promotion, nous préférerions que les «journalistes » se taisent ! Et à leur place nous n’aurions que l’ambiance du stade… à condition que la prise de son soit moins calamiteuse que celle de ce Mondial. On saute d’un problème à l’autre ! 


Photo : Alexander Lesnitsky (Pixabay)

9 août 2023
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