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Mes études à Sciences Po

Un témoignage 

Par Il Palio (pseudo) 


Sciences Po est dans l’actualité et au cœur de querelles et sérieux conflits autour de la question palestinienne. Il nous a paru utile de donner la parole à un ancien de cette « grande école », pour mieux comprendre peut-être ce qui se joue autour de l’agitation actuelle à Sciences Po Paris. Voici donc le témoignage de « Il Palio » (pseudo). 

J'ai fait Sciences Po. Je n'aurais pas dû. C'était de 1971 à 1973 à Paris et je sortais d'une maîtrise de droit obtenue avec mention. Pas de quoi être pessimiste donc. Sauf que je ne faisais pas Sciences Po parce que cela m'intéressait, car je me foutais de la politique. Non, je le faisais pour faire comme papa qui en était sorti major !

Un lourd échec
Un pesant fardeau pour mes frêles épaules. D'autant plus frêles qu'à cette époque j'allais mal. Très mal. Les failles psychologiques contractées à l'enfance et à l'adolescence -maladies, famille désunie, et cætera- n'avaient cessé de s'agrandir et j'étais au bout du rouleau. Je fus donc logiquement lourdement recalé au « Grand oral » final, redoutable examen portant sur la totalité du programme des trois années. 

J'avais fait une erreur en choisissant cette grande école, je le payais. En réalité, je tentais aussi d'aller au bout d’une logique tordue : retarder le plus possible mon entrée dans la vie active, dont je n'avais pas la moindre vision ni envie et qui me causait beaucoup de craintes. Il n'empêche que, mis à part ce maudit examen final j'ai un cursus complet à Sciences Po (épreuve écrite finale comprise) et qu'il me semble donc que je peux donner mon avis sur cette institution telle qu'elle était alors. 

On me dit, et je sais, qu'elle a beaucoup changé depuis, mais comment, à quel point et pour quel résultat ? Ces lieux de la rue Saint Guillaume où règne aujourd’hui une telle agitation, je les ai fréquentés deux ans- avec une maîtrise on entrait directement en deuxième année- et je les connais. J'ai « assisté » avec une certaine stupéfaction aux événements et quasi-émeutes qui s’y sont déroulés récemment. 

Une école plus ouverte mais en équilibre instable...
Il paraît que de nos jours Sciences Po est devenue plus internationale, bien plus ouverte à davantage de catégories sociales, grâce en particulier à la volonté de Richard Descoings, son directeur (mort en 2012). C'est tant mieux. Mais c'est aussi une école où des scandales sexuels ont éclaté ces dernières années et ou une certaine vérité de l'institution est apparue en plein jour. Pas très glorieuse. 

Je ne crois pas du tout que le pseudo soutien à Gaza qui s'est exprimé reflète l'opinion de la majorité des étudiants de l'école, en tout cas pas sous la forme caricaturale que ce soi-disant soutien a prise (ce qui n'enlève évidemment rien à l'horreur de ce qui se passe à Gaza). En revanche je peux témoigner de ce que Sciences Po était au début des années 70 et le moins qu'on puisse dire est qu'elle était figée dans la bien-pensance et l'absence de débat. On y avalait avant tout des faits et des dates en vue de l'examen final. Une sorte de gavage. Moi je n'étais plus en état d'absorber autant, de gré ou de force. Nous étions alors quatre ans après mai 68, mais cette institution me semblait encore et toujours représenter un certain pouvoir de classeLe hall d'entrée était en soi tout un spectacle. Jupes plissées et blazers bleu marine y pullulaient. Un quasi uniforme. Je me présentais quant à moi souvent en sweater, voire en t-shirt approximatif. 

Passons encore pour l'accoutrement mais l'absence de débat dominait outrageusement dans les cours et travaux dirigés. Comme je l'ai dit, je ne me souviens pas d'un seul véritable échange lors d'un cours. Cela pouvait même aller jusqu'à nous faire réciter la liste des secrétaires d'état américains… Gavage, donc. Je m'ennuyais tellement ce jour-là que je lâchai un de mes célèbres soupirs d'ennui, ce qui indigna légitimement le chargé de cours. « Qui a fait ça ? » demanda-t-il. Je me « dénonçai » alors. Pourtant, a dit Dominique Schnapper, ancienne membre du Conseil constitutionnel, l'université doit être le lieu du « débat » (émission « En société », France 5
5 mai 2024). Clairement, Sciences Po ne l'était pas. Il fallait ingurgiter, pas débattre.  

Soutenir Gaza, vraiment ? 
Les événements qui ont eu lieu ces derniers jours rue Saint-Guillaume ne relèvent eux clairement pas du débat mais d'affrontements violents et de surcroît mal documentés. Que savent au juste de l'histoire de la Palestine et du conflit israélo-palestinien ceux qui ont élevé leurs « barricades » face à Science Po, qui sont-ils et que veulent-ils ? 

Bien sûr, dans leur radicalité, n'expriment-ils pas l'opinion de la majorité des étudiants de l'école, loin s’en faut, et sans doute des éléments extérieurs ont-ils pris part à ces manifestations. Au-delà de ces graves débordements, quelque chose ne va pas du tout à Sciences Po, avec plusieurs changements de directeurs ces dernières années, sur fond de scandales sexuels. 

L'institution va-t-elle enfin trouver son équilibre ? On en semble encore loin. A une grande école confite dans ses racines bourgeoises et son affligeant conformisme a succédé une institution tourmentée et désorientée. Il y a du boulot ! La période de transition, la mutation de l'école a-t-elle été trop rapide et violente ? Si Sciences Po forme en effet bel et bien des « élites », elles ne sont à mon sens pas toujours de qualité ni suffisamment ouvertes au dialogue ; cela se voit plus tard dans la vie professionnelle, avec aussi des énarques, très formés mais guère ouverts au monde, étriqués et fermés.

Des élites qui auraient mauvaise conscience  
Une hypothèse mérite la réflexion : celle formulée dans l'émission « C'dans l'air » (France 5) du 2 mai dernier par Gilles Finchelstein, secrétaire général de la Fondation Jean-Jaurès, directeur des études chez Havas. Selon lui, ces « élites » formées à Sciences Po ont « mauvaise conscience » d'être des élites. C'est là une piste aussi intéressante que désespérante. En effet, d’où viendrait cette mauvaise conscience ? D’être encore et toujours des privilégiés ? D’avoir le sentiment de ne pas pouvoir faire grand-chose face aux atrocités du monde, ce que Luc Boltanski appelle « La souffrance à distance » (Ed. Métailié, 1993) ?

Il va maintenant falloir que dans cette école, aux étudiants plus diversifiés et un peu plus représentatifs de notre société, donc, une conscience saine, multiforme, humaniste, humaine, succède au règne bourgeois passé puis au désarroi actuel. Vaste chantier. 
Les prises de conscience sont une œuvre de longue haleine. A suivre attentivement.

Photo : Klau 2018





15 mai 2024
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