Surveillance : la vidéo ne sert (quasiment) à rien
C’est en tout cas ce que dit clairement un récent travail dont le journal Le Monde rend compte en détail dans son édition papier du 23 décembre dernier (« Une étude montre l’inefficacité de la vidéosurveillance », par Antoine Albertini).
https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/12/22/une-etude-commandee-par-les-gendarmes-montre-la-relative-inefficacite-de-la-videosurveillance_6106952_3224.html
Ce rapport concerne la vidéosurveillance et a été demandé par la gendarmerie de Melun, plus précisément le Centre de recherche de son Ecole d’officiers de gendarmerie. Le chercheur Guillaume Gormand l’a conduite. Sa base: les données récoltées entre 2017 et 2020 sur les violences comme les vols liés aux véhicules, les cambriolages et les infractions à la législation sur les stupéfiants.
Les zones concernées sont quatre territoires municipaux de la région de Grenoble. Des séries d’entretiens et la comparaison de certains territoires analysés avant et après l’installation de caméras ont complété ce dispositif.
Beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages
Les principaux enseignements de l’étude sont :
-« Sur 1939 enquêtes, 22 seulement à avoir été élucidées ont pu bénéficier d’éléments tirés de l’exploitation d’enregistrements de vidéoprotection publique ». Et seulement une sur 20 des enquêtes ayant abouti a bénéficié d’une contribution vidéo.
-Pour les gendarmes, les inconvénients de la vidéosurveillance l’emportent largement sur ses avantages : « le visionnage d’images est mobilisé dans une enquête sur 10 seulement ». Pourquoi ? Parce que l’utilisation de la vidéoprotection par un enquêteur est « considérablement moins simple, naturelle et fluide que la culture populaire le laisse croire » (G.Gormand).
-Les résultats ne sont pas meilleurs sur le volet dissuasif car « la présence de caméras n’empêche pas les délinquants de passer à l’acte ».
Toutefois, les éléments les plus intéressants de cette enquête tiennent aux préjugés en vigueur dans l’opinion publique et chez les politiques : il faut d’abord, dit Gormand, balayer « les fantasmes (…) sur une question autrement complexe que sa présentation binaire pour/contre dans le débat public ».
Des éléments matériels jouent également contre la vidéo, comme le mauvais état des équipements ou les attaques et dégâts qu’ils subissent. Pour Gormand, il faut « redéfinir la vidéoprotection comme un outil et non comme une solution de prévention (des infractions) ». D’accord, mais quel type d’outil, et pour quoi faire ?
Vidéosurveillance et VAR
Bien entendu, la prudence s’impose quand on en vient à comparer cette utilisation de la vidéosurveillance dans les villes -et son échec, donc, déjà évoqué il y a quelques années concernant Londres- avec la VAR dans le football. Les objectifs et le fonctionnement de ces deux systèmes sont en effet très différents.
Nous avons cependant eu l’occasion de constater, non sans quelque surprise d’ailleurs, que la référence à la vidéosurveillance dans les prisons et au livre de Michel Foucault « Surveiller et punir » était extrêmement présente dans le travail d’un doctorant sur l’arbitrage et la VAR. Comme si les frontière entre la (soi-disant) recherche de la « vérité » d’une action ou d’un geste sportif et la prévention et la sanction de crimes et délits de droit commun -ou les évasions de prisons- se confondaient...
On ne peut pas nier le fait que les caméras, au football, détectent aussi des gestes violents et qu’au rugby, le jeu dur et/ou dangereux est particulièrement scruté. Mais la tentation de la confusion entre l’hypercontrôle sécuritaire d’une part, la recherche de la vérité sur le terrain de sport d’autre part pose problème.
Le principal point commun entre les deux systèmes est que… ils ne marchent pas, ou très mal ! C’est déjà beaucoup et montre à quel point les lieux communs touchant au visuel sont profondément ancrés dans notre société et néfastes. Nous ne saurions assimiler les joueurs de foot à des délinquants en puissance. Observés à la loupe par les caméras de télé et constamment susceptibles d’être pris en défaut -mimiques gênantes, agression sur un adversaire, crachats, surréactions à une faute adverse, engueulades de l’arbitre- ils ne sont pourtant que trop rarement l’objet de sanctions de la part des instances du foot.
Le visuel technologique montre alors ses criantes limites non pas seulement en soi, même quand il est -parfois- probant, mais par absence de volonté politique de sanctionner : en gros, il ne faut pas contrarier les clubs et les handicaper !
En résumé, tant les avantages du système de vidéosurveillance -« protection » en version politiquement correcte- que ceux de la VAR sont quasi nuls. En revanche ils sont chers, chronophages et entretiennent les illusions de la population. Cherchez l’erreur !
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