Massives pertes de balle
Ces dégagements lointains et semi aveugles -un gardien pouvait-il raisonnablement viser un partenaire en particulier ?- signifiaient plus souvent qu’à leur tour une perte de balle.
D’intéressantes statistiques auraient sans doute montré alors que l’équipe bénéficiaire du « six mètres » perdait ensuite la balle dans 60 ou 70 % des cas. Mais cela, on ne le ne saura jamais, à moins de s’infliger de longs visionnages de matches anciens (si toutefois quelqu’un possède un tel ce bijou, je prends…). Le gardien disposait toutefois d’une autre possibilité : dégager à la main ou au pied mais au ras du sol vers un partenaire proche, arrière latéral en général.
Si mes souvenirs sont bons, celui-ci s’ouvrait alors directement vers le grand large, à la recherche d’un partenaire démarqué, et ne revenait pas vers le gardien. Les années 60 à 80 ont vu un très néfaste abus des passes des partenaires à leur gardien, celui-ci étant encore ici autorisé à prendre la balle avec les mains.
Le tournant de 1992
Dans les années 1990, l’International Board réagit intelligemment en énonçant une série de nouvelles règles, dont, en 1992, l’interdiction pour le gardien de but de prendre à la main un ballon qui lui est adressé par un co-équipier. Il peut désormais seulement le jouer au pied.
Conséquence bénéfique immédiate : les gains de temps abusifs dus à la multiplication des passes aux gardiens cessèrent. Conséquence très problématique en revanche, un nouveau mode de relance apparut timidement qui aujourd’hui entraîne une nouvelle dérive : les interminables échanges au pied entre le gardien de but et son/ses partenaires proches, avant qu’ils repartent vers l’avant à l’assaut du but adverse (ce qui est tout de même l’objectif incontournable d’une équipe de football…).
Cette phase de jeu a un avantage incontestable : la possession de la balle n’est pas bradée à l’adversaire. Le culte de cette possession, royaume notamment du Barcelone de Guardiola et de l’équipe d’Espagne, s’imposa. Ne surtout pas la perdre devint alors une sorte d’impératif catégorique du football, comme dirait Emmanuel Kant. Mais la question se posa dans la foulée : pour en faire quoi ? Les redoublements de passes entre le gardien et ses défenseurs auxquels nous assistons de nos jours finissent par nous interpeller ; mais à quoi jouent-ils ?!
Jouer à la baballe…
Le foot n’est-il pas passé d’un extrême à l’autre entre se débarrasser du ballon vers l’avant d’un grand coup de latte et se le passer et repasser jusqu’à l’écœurement ? Pour nous, évidemment, la réponse est oui. On comprend bien le souci d’une équipe de garder la maîtrise de la balle et de construire le jeu dès sa base arrière, faisant par là- même du gardien un acteur à part entière du jeu sur le terrain. Bravo donc pour l’ambition et pour le souci non seulement de ne pas perdre la balle mais encore de l’utiliser le plus intelligemment possible dans la progression vers le but adverse.
Toutefois, la réalité est autre. L’arrière latéral, qui est le plus souvent celui qui reçoit la balle du gardien, n’a, la plupart du temps, pas de premier choix évident (un partenaire nettement démarqué). Il ne doit aussi pas perdre de vue qu’il est dans une zone à risque et qu’il n’a pas le droit à l’erreur. La solution qui peut alors s’imposer à lui est de redonner la balle au gardien, qui doit donc aller chercher son bonheur ailleurs... La deuxième tentative de ce dernier sera d’ailleurs assez souvent infructueuse, ce qui peut le conduire à prendre un risque en relançant au centre (à éviter pourtant absolument !) ou à finalement revenir au grand coup de latte d’antan. Sinon, la ronde continue ainsi et souvent bien trop longtemps. Le foot n’y gagne rien.
Il y a dans ce désir de construire le jeu dès sa « base géographique » -le gardien- une forme de panache et une volonté de maîtrise. Le problème est que, une fois arrivée vers le milieu du terrain, la balle revient souvent sans cesse en arrière… Cela finit par choquer et ennuyer.
Quel rapport bénéfice-risque ?
Sans tomber dans le simpliste « devant ! devant ! » (en gros : « allez, balance ! »), il y a des limites au jeu de la baballe. Le rapport bénéfice-risque doit être ici soigneusement évalué. Il n’est pas sûr que le bénéfice l’emporte ici. Pire : les risques sont réels de voir un gardien rater sa sortie au pied ou sa passe, de se faire prendre la balle et d’infliger un but à sa propre équipe.
On se souvient ainsi, parmi d’autres, d’Hugo Lloris face à Mario Mandzukic en finale du Mondial 2018, ou encore de cette passe en arrière vers nulle part d’un défenseur russe à l’Euro 2021 (Russie 1 -Danemark 4), deux actions coûtant chacune un but.
Les gardiens ont beau avoir progressé dans leur jeu au pied, sans doute en grande partie en raison de l’évolution des règles, ils ne sont pas encore tous au même niveau de maîtrise que les joueurs de champ.
Une proposition…
Voici donc notre proposition : sur sa relance, le gardien ne pourra pas donner directement la balle plus d’une fois à un partenaire. Au-delà, la balle devra progresser vers l’avant au lieu de revenir vers lui. D’une manière générale, il s’agit de donner une prime aux équipes qui, sans bâcler pour autant leur jeu offensif, ne se passent et repassent pas indéfiniment le ballon. Point. C’est à notre avis urgent pour un football qui finit par se languir par excès de prudence et de cogitations et de souffrir d’un manque de spontanéité et de prise de risque plus que lassant.
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