Jeux Olympiques et Paralympiques
Un public français survolté et chauvin
Pendant les Jeux Olympiques et Paralympiques "Paris 2024", certains discutaient pour savoir si le comportement du public français relevait du chauvinisme, du patriotisme ou du nationalisme…
Quiconque a assisté à ces Jeux -par ailleurs inoubliables- aura constaté à quel point les Français se sont livrés à un véritable délire d'encouragements à leurs représentants.
Je suis allé trois jours à Paris pendant les Paralympiques et je l'ai vu et entendu de mes propres yeux et oreilles. Un exemple parmi d'autres, le pongiste Clément Berthier opposé à l'Ukrainien Nikolenko. Le public de la Porte de Versailles ne faisait pas qu'applaudir les points marqués par le Français, il applaudissait aussi les fautes de l'Ukrainien.
Et c'est là qu’est le problème (un des problèmes). Aller encourager ses champions inclut-il à la fois le salut de leurs exploits et les erreurs de l'adversaire -parfois il est vrai provoquées par son propre champion, mais pas toujours. On peut aimer le carnaval, se peindre en tricolore -les joues surtout- agiter des milliers de drapeaux mais aussi peut-être aimer un peu le sport… Au fond, pourquoi pas ?
Une joie ambigüe
Faut-il pour autant montrer autant de Schadenfreude, disent les Allemands (quasi intraduisible en français : mauvaise joie, joie malsaine, ressentie devant le malheur des autres) ? Autant d'excitation exacerbée, personnellement, m'épuise et même m’écoeure.
Il faut en plus savoir que ce soutien assourdissant, à la limite de l'obligatoire (bonjour Orwell et son décidément incontournable 1984) n’est ni naturel ni spontané. Non il est littéralement orchestré par des ambianceurs. Tony Estanguet, par ailleurs formidable organisateur de ces Jeux semblait bien se réjouir d'avoir engagé mille (!) de ces ambianceurs sur les Jeux Olympiques et les Jeux Paralympiques.
Avant chaque début de session l'ambianceur de service vient face aux tribunes expliquer au public comment montrer qu'il est là : par le clapping, les hurlements de joie etc. Les Allez les Bleus ! résonnent eux tout naturellement, sans besoin de mode d’emploi. Ils n’en sont pas moins abrutissants.
Contre les étrangers ?
Certes ceci n'est pas nouveau ; il suffit par exemple de voir l'horrible l'évolution des matchs de Coupe Davis en tennis, avec des joueurs étrangers jetés aux fauves. Mais cette organisation méthodique des soutiens, et donc des émotions, fait peur.
Apparemment, dans les évaluations, le patriotisme incarne des valeurs positives : on est patriote parce qu'on aime son pays et qu'on le fait savoir. Mais aimer son pays veut-il dire ne pas aimer les autres ? Nous avons traité dans notre texte précédent des attitudes et des propos résolument partisans et profrançais des commentateurs (journalistes ?) de France Télévisions.
Nous ne dirons pas des comportements des commentateurs de la télé et du public français qu'ils n’ont été que patriotes. Ils n'ont pas seulement été pour les Français, ils ont souvent été contre leurs adversaires étrangers. Ceci est resté dans des limites raisonnables mais c'est indéniable. Chauvinisme paraît plus adapté pour caractériser ce parti pris assumé pendant les épreuves, comme lors des fêtes hallucinées au Club France à La Villette, en l'honneur des médaillés français.
Le chauvinisme, lui, revêt une connotation négative que n’a pas le patriotisme.
Reste le nationalisme. Ce terme peut aussi s'appliquer à ces Jeux Olympiques, quoiqu'en disent certains. Mais le nationalisme est plus large. On y pense davantage pour caractériser une guerre, des positions politiques, que pour du sport. Il n'empêche.
Quel "esprit olympique" ?
Les Jeux Olympiques 2024 ont bien été -aussi- une fête nationaliste, à l'intérieur d'une immense manifestation -les Jeux Olympiques de l'Antiquité à nos jours- censée représenter une philosophie universaliste et une trêve, une période de paix. Vouloir la défaite de l'autre autant, voire plus, que la victoire des siens n’y correspond pas.
Malgré la beauté époustouflante de bien des moments de ces Jeux (cf. notamment la brillantissime cérémonie d'ouverture) il faut ici renvoyer au formidable livre d'Olivier Villepreux « Feu la flamme » (Gallimard, 2008), qui décrit parfaitement la dégénérescence de l'olympisme.
Los Angeles réussira-t-il le même miracle que Paris, c'est-à-dire nous faire croire à nouveau à ces moments magiques ? Il faudra déjà voir le comportement des télévisions américaines et du public américain… L'exemple d'Atlanta 1996, avec un traitement quasi unilatéral de NBC en faveur des champions américains, ne nous incite pas à l'optimisme.
Un sport où l'on encouragerait ses champions sans délirer et sans se réjouir des fautes de l'adversaire est-il encore possible ? Trouverait-on là tellement de satisfaction en moins que l’actuel festival de chauvinisme ? La question est posée.
Photo : Jackmac34
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