
Le grand carnaval du sport
« Le sport n’est-il pas le jeu par excellence ? » interrogeait Umberto Eco dans un formidable texte publié par
La Repubblica
et repris dans
Courrier International
du 15 février 2001. Titre de l’article :
« L’existence comme carnaval permanent ».
Mais qu’a à voir le sport avec le
carnaval et ce que
Eco appelle « la
carnavalisation
du monde
» ? Pas facile à définir en quelques lignes, tant l’analyse de l’auteur du
Nom de la Rose
est riche et soulève de multiples questions.
« Le
jeu, dit-il, doit, pour être considéré comme tel, constituer une
parenthèse. C’est un moment de pause… » Il ajoute : «
Pour que le carnaval soit beau et ne soit pas épuisant, il doit être court !
». Or aujourd’hui règne la «
carnavalisation totale de l’existence
». La télévision, par exemple, fournit avant tout du
divertissement
où « «
des amuseurs et des jolies filles lancent non pas des confettis mais une pluie de milliards que chacun peut gagner en « jouant ».
La permanence, mais à quel prix ?
Le sport lui aussi s’est « carnavalisé », en cessant d’être la parenthèse qu’il doit être (un match par semaine et les
Jeux Olympiques
de temps en temps) pour devenir
permanent. « Ce n’est plus le jeu de celui qui joue qui compte mais le grand carnaval de l’avant, du pendant et de l’après-match, quand c’est le spectateur qui joue toute la semaine, pas le joueur
».
Vingt ans plus tard, l’analyse d’Eco sonne toujours aussi juste. En somme, nous risquons l’overdose
et la nature de notre
désir de sport
change profondément : toujours davantage de matches, toujours plus d’oubli de soi, toujours moins de
distance critique
par rapport à ce que nous voyons. Exemple frappant : le délire de Gianni
Infantino
qui veut voir « sa »
Coupe du monde
tous les deux ans. Il exprime parfaitement cette absence de pause, cette permanence du show aux effets destructeurs.
26 novembre 2021