Rien à part Allemagne-France de Séville en 1982 ne m’a procuré autant d’émotion que ces matches Bulgarie-France de 1959 à 1961 retransmis à la radio. En 1961, c’étaient les éliminatoires de la Coupe du monde pour le Chili. A 0-0, je me souviens de mon père, mon frère et moi serrés autour du poste, attendant désespérément le coup de sifflet final libérateur. Mais celui-ci ne vint pas, car à la quatre-vingt neuvième minute, Iliev avait marqué ! Guillas avait, me semble-t-il, raté un coup franc peu avant et nous sentions le vent de la fatalité se rapprocher.
Ce genre particulier de tension toutes oreilles dehors que provoque la radio n’a guère d’équivalent. Bien sûr le but de Kostadinov en 1993 n’était pas mal non plus -et si dramatique…- cette fois à la télé, mais la radio c’était vraiment très spécial et très émouvant. Les grandes voix du foot à la radio s’appelaient en ce temps-là Georges Briquet, Roland Mesmeur, Jacques de Ryswick. Et tous les grands matches, loin s’en faut, n’étaient pas retransmis à la télé, qui en était d’ailleurs à ses débuts.
Le grand joueur bulgare d’alors était l’attaquant Kolev, avec Yakimov juste derrière. Les Bulgares, entre 1959 et 1963, eurent une spécialité : battre la France 1-0 et deux fois à la 89ème et 90èmeminute. Énervant… Ces cinq années-là, la Bulgarie a battu la France quatre fois 1-0, dont trois fois en compétition officielle, avec un match d’appui pour le Mondial 1962 raté à Milan et perdu… 0-1. Pourquoi la Bulgarie ? Mystère. En 1993 le sommet de l’écœurement fut atteint avec cette fois Kostadinov privant, à Paris, les Tricolores de la Coupe du monde aux États-Unis, à la… 90ème minute. Score : 1-2.
Deux fois les Français se sont vengés et nous ont fait croire qu’ils pouvaient échapper à la malédiction bulgare : en gagnant 3-0 en 1960 à Colombes (qualifs pour la Coupe du monde)… et en 1963, 3-1 (j’y étais) en Coupe d’Europe des Nations. Mais au bout de la ligne droite, c’était encore et toujours la Bulgarie qui passait, de justesse, juste ce qu’il fallait, mais encore et toujours elle.
Question : qu’est-ce que la Bulgarie, pays passant pour plutôt fruste et moyennement séduisant, avait compris des faiblesses de l’équipe de notre beau pays plein de charme et de prestigieuse histoire ? Peut-être l’absence de rudesse. La France, dans les années 60, n’était déjà plus ce grand pays de football que la campagne de Suède 1958 (3ème de la Coupe du monde) avait laissé entrevoir. Les lacunes s’ouvraient toute grandes, comme une blessure.
Les Bulgares avaient compris et ils ont su jouer et battre les Tricolores, grâce à quelques joueurs d’exception, une ténacité, une endurance, une force à toute épreuve. Et la foi en eux, chevillée au corps.
L’heure de gloire des Bulgares vint en 1994. Sur leur lancée de l’élimination de la France, les Bulgares sortent l’Allemagne (2-1) en 1/4 de finales : buts de Stoitchkov et Letschkov aux 75ème et 78ème minutes, renversant le cours du match, et encore dans le dernier quart d’heure… Ils finissent quatrièmes du tournoi, battus 2-1 par l’Italie (futur vainqueur de cette coupe du monde) en demi-finale puis par la Suède (0-4) dans le match pour la 3ème place.
Messieurs les Bulgares, on ne vous a pas vraiment aimés, vous n’avez pas, contre « nous », pratiqué le plus beau jeu du monde, mais vous nous avez appris, avec d’autres, qu’un match de foot dure quatre- vingt dix minutes au moins, et pas 88. Et que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Et du suspense. Merci à vous de m’avoir fait connaître de grands moments de radio, même d’un goût finalement amer.
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