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 Pascal Praud triomphant :

 La triste revanche du journalisme de sport

Surtout ne pas penser… Pascal Praud, sur la chaîne télé CNews, anime deux émissions par jour - « L’heure des pros » le matin, « L’heure des pros 2 » le soir- qui cartonnent. « Le choix des sujets traités et la liberté de ton » expliquent leur réussite, dit Praud (Le Monde, 23 mai 2019). Les programmes de Praud -même les titres des émissions sont de nos jours personnalisés à l’extrême- sont une sorte de paroxysme de l’information-spectacle mêlée de café du commerce. 

Or cette formule est largement née sur le modèle des émissions de foot comme « On refait le match », animée par Eugène Saccomano et inspirée de l’italien « Match du lundi ».

Le « Droit de réponse » de Michel Polac avait ouvert la voie à ces « échanges » souvent plus que débridés où attaques et invectives pleuvaient, quand ce n’était pas un cendrier… 

Mais l’influence du traitement du sport à l’antenne en radio et télé a été majeure dans la naissance de ce style de programme déblatératif dont un des charmes principaux est la multiplicité des sujets : on en traite six ou sept dans l’heure, et l’on y passe ainsi sans cesse du coq à l’âne -surtout à l’âne. Pascal Praud a lui-même, en son temps, animé « On refait le match » et il sait de quoi il parle. On est plus proche du match de catch que de l’information. 

Couper la parole !

La clé de cette animation surjouée mais redoutablement efficace - les audiences de CNews ont grimpé en flèche et Praud y est pour beaucoup- est l’interruption : interrompre sans cesse son voisin, donc lui couper la parole ou, pour le tout-puissant maître du plateau, interrompre qui il veut à tout moment. Surtout ne pas laisser penser ! 

Réfléchir vraiment, ou même un tant soit peu, implique un minimum de continuité. Articuler deux idées de suite implique du temps, même court, mais certainement pas ce rebond permanent d’un thème à l’autre, d’une plaisanterie à l’autre, d’où seule la superficialité sort gagnante, voire même les règlements de compte. Chez son voisin d’antenne Eric Zemmour, c’est carrément le rayon haine

Ce qui ne veut pas dire que ces émissions ne valent rien : elles sont du divertissement. Or divertir, dans son premier sens, c’est étymologiquement « détourner », du latin divertere, selon Le Robert. Dans la foulée, cela signifie aussi « distraire en amusant ». Et c’est ce que fait Praud sur à peu près tous les sujets, de l’euthanasie -où les participants s’appliquent toutefois à ne pas en faire des tonnes- à la jauge de 50 % pour les terrasses des restaurants et cafés, où Praud lâche les vannes et traite en substance le gouvernement d’abrutis qui ne comprennent rien : « Mais qui sont ces gens ? », demande Praud le 11 mai dernier. 

Au royaume des clashs 

Bien entendu, dans ce dispositif-là, les clashs sont inévitables. Soigneusement mis au point, avec quatre invités plus Praud, ce dispositif joue un rôle capital, largement sous-estimé dans les analyses médiatiques. Les clashs sont même vivement souhaités (cf. l’humiliation à l’antenne de l’écologiste Claire Nouvian, le 6 mai 2020). Ce parfum de scandale, à défaut de scandales véritables, fait de l’Heure des pros l’émission la plus signalée au CSA


Lien Le Monde 

L’outrance, l’indignation perpétuelle autant que feinte, l’omniprésence de Praud, ex-très moyen journaliste de sport, sur TF1, et dircom raté d’un club de foot - le FC Nantes, pendant deux ans- sont les ressorts de ce déferlement surexcité de tout et n’importe quoi. 

« Je suis 100% Bolloré », avoue Praud, ce qui donne une idée de sa grande indépendance, dans une chaîne qui a viré à droite toute (dans Le Monde du 1er juin 2019, « Il est comme ça Pascal Praud », de Philippe Ridet). 

Dans les émissions de Praud, on peut aussi voir le par ailleurs remarquable Laurent Joffrin se faire ridiculiser par l’animateur star, mais sembler aimer cela. Masochiste ? Être en plateau avec Praud, même sans aucune chance d’être vraiment entendu, dans le brouhaha souvent de mise, est devenu impératif. Il faut y être, quitte à laisser son cerveau et son ego au vestiaire. Y être, certes, mais pour faire quoi ? Que reste-t-il après chaque émission sinon un vague sentiment de survol de sujets graves effleurés frivolement, de vide sidéral ?  

 

Et ça marche du feu de Dieu. Même les macronistes s’y pressent : incontournable, donc, CNews, au populisme galopant. « Ce sera la chaîne de la présidentielle » lance un « parlementaire de poids », sur leparisien.fr.   


Lien Le Parisien

Talk-shows de sport et bavardage 

L’évolution du sport en télévision notamment est donc à la source de ces émissions à la fois sur vitaminées et creuses. Les talk-shows sportifs, bien au chaud entre soi -cf. ceux de L’Equipe 21- se sont multipliés et de vraies émissions d’information sur le sport manquent toujours. Les chaînes, y compris nationales, restent fermées à des intervenants extérieurs qui pourraient venir troubler cette consanguinité médiatique, comparable à celle du foot, que Lizarazu avait dénoncée à juste titre, dans L’Equipe magazine du 25 septembre 2010, comme une maladie, sans pour autant faire d’efforts visibles pour en sortir. 

L’affaire Ménès, que nous avons traitée sur ce site, exprime le triomphe du bavardage et des comportements « décomplexés » voire sexistes. Canal+ se dirige vers la seule retransmission des matches, l’habillage éditorial (émissions, magazines…) semblant voué à disparaître. Ce sera plus simple pour la chaîne !



 Lien Libération 

Les informations sur le jeu et toute forme de réflexion ou critique seront bannies. Pauvre journalisme de sport… Il n’existe plus guère en radio et télé et le journal L’Equipe survit en presse écrite, avec beaucoup de qualité dans l’écriture et de maîtrise technique mais une réflexion très faible, cf. le dossier VAR. S’y sont substituées des émissions sur le sport d’où toute information sensible et toute analyse tendent à disparaître au profit du pur plaisir du bavardage et de la polémique facile.

 

A travers ces programmes, c’est encore et toujours l’impasse dans laquelle se trouve enfermé le sport de haut niveau qui trouve son expression ainsi que l’incapacité de la presse sportive à sortir de la soumission à la télévision et de la démagogie, comme les insupportables attaques contre les arbitres.

 

Aujourd’hui Pascal Praud triomphe mais qui perd ? Tout le monde.

PS. Une bonne surprise toutefois : l’apparition de la revue trimestrielle After Foot de Daniel Riolo et Gilbert Brisbois. L’avenir dira s’ils peuvent contribuer à quelque peu inverser les actuelles évolutions délétères dans le monde du foot médiatisé.

18 mai 2021
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